Armée et vélocipédie

Les cycles ont joué un rôle important, mais méconnu, dans plusieurs armées au monde, surtout avec l’arrivée de la bicyclette.

Mais cet usage militaire est apparu dès son lancement bien que le vélocipède ait eu peu d’importance dans l’armée française.

Le lien entre armée et vélocipède est apparu dans la presse, dans des articles et des publicités.

La première attestation est parue dans un articulet du Figaro du 7 octobre 1867  qui évoque la création de régiments de vélocipédeurs à la place des cavaliers, ce qui serait économique,  parallèlement à l’annonce du lancement du véloce-club de Paris. Puis l’armée est évoquée deux fois par ce même journal. D’abord, le 25 août 1868, à propos de la course d’Enghein du 23 août à laquelle assistèrent le maréchal Niel  et l’intendant des Beaux-Arts Émilien de Nieuwerkerke, le journaliste Albert Wolff note que la véritable portée des courses de vélocipèdes, encouragées par MM. les sénateurs, n’échappera à personne. C’est une façon de compléter les cadres de cavalerie sans en avoir l’air. L’art militaire consiste surtout à cacher son jeu. 

Puis, selon Le Figaro du 6 octobre 1868, la question des vélocipèdes serait à l’étude dans l’armée, dit-on, pour les estafettes. On en installerait une compagnie par régiment. Devant une charge de cavalerie, les pelotons de véloces établiraient leurs montures en faisceaux pour casser les jambes des chevaux ennemis.

Parallèlement, deux publicités montrant des militaires à vélocipèdes ont été publiées dès 1868. La première publiée dans la Gazette des Étrangers à partir du 28 février 1868 (N° 2468, p. 4) vante la production Michaux : l’image représente un militaire, un chasseur et un bourgeois chevauchant un vélocipède. La même image sera reprise pour la couverture de l’ouvrage intitulé Note sur le vélocipède à pédale et à frein de M. Michaux, par un amateur, le second ouvrage publié consacré au vélocipède, déposé à la Bibliothèque nationale le 21 avril 1868. L’auteur est probablement un fonctionnaire du ministère de la Marine alors situé rue Royale, à proximité des ateliers Michaux, Jules Marie de La Ruë. Il s’est illustré en lançant le tachypodoscaphe, l’ancêtre du pédalo. L’amateur affirme dans la brochure être l’inspirateur du dessin mais il le critique : « Le dessin … présente le vélocipédeur sous trois formes : l’amateur, le chasseur, et le cavalier… Mon désir n’a pas été bien exprimé, j’en demande pardon à mon ami. C’était en effet un fantassin et non un cavalier que je voulais mettre en scène … ». Et l’assiette du militaire est défectueuse, ajoute-t-il (p. 8). Dès le 19 mars suivant, commence une nouvelle série de 35 réclames dans La Gazette des Étrangers, toutes identiques mais un peu différentes de la première : le militaire a disparu. 

Un autre artisan, VINCENT, publiera dans l’Album Bracke – Les Caricatures parisiennes de 1868 une autre publicité en relation avec l’armée : elle montre parmi six vélocipédeurs deux militaires armés de baïonnettes. 

Enfin, une caricature d’Alfred Grevin légendée “Croquis Militaires. La vélocipédomanie appliquée à la mitraillomanie”, probablement publiée en 1870 dans Le Charivari, montre des vélocipèdes chevauchés par des soldats et équipes de canons. 

Si la presse a fait le lien entre vélocipèdes et armée dès 1868, il est attesté que, dès 1867 , parmi les amateurs de ce sport figuraient des militaires de haut niveau, comme le général Émile Félix Fleury, un proche de l’Empereur ou le général Arnaud de Saint-Sauveur alors commandement du régiment de gendarmerie de la Garde et familier des Tuileries, selon Le Figaro du 23 novembre 1871. 

Il y eu aussi des militaires moins gradés comme Rémy LAMON qui commença en 1852 comme chasseur pour terminer lieutenant en 1871. Il se distingua doublement comme vélocipédiste :   

  • il arriva 14e au Paris-Rouen le 7 novembre 1869, en 17h25. Mais il fut le seul à revenir à Paris en pédalant sur son engin. 
  • et il publia en 1872 un des premiers ouvrages consacré au vélocipède : Théorie vélocipédique et pratique ou manière d’apprendre le vélocipède sans professeur (Cf. la couverture ci-après)

Il y a eu aussi des marins, en particulier en Cochinchine où un vélocipédeur est signalé dans la Note par un amateur (p. 7, n. 1). Mais ils seront rapidement plusieurs, selon Louis Fillet : On l’a vu à Saïgon monté par des officiers de notre flotte (Le Vélocipède N°1 en mars 1869, p. 3). Il y a eu entre autres Alexandre Le Jumeau de Kergaradec, jeune officier sorti de l’Ecole Navale. Georges d’Orgeval affirmera dans Le Vélo du 18 mai 1893 avoir joué un rôle dans la diffusion du véhicule : « Moi-même, ainsi que le fils Michaux pourra vous le dire, j’ai fait pénétrer en Extrême-Orient le premier vélocipède Michaux». Un de ces officiers est à l’origine de la première attestation de vélocipède en Extrême-Orient, voire en Asie, une petite annonce publiée par le Courrier de Saïgon Journal Officiel de la Cochinchine du 20 mars 1870 : 

 « A vendre / un vélocipède / Presque neuf, 1 mètre de haut / prix : 70 piastres / S’adresser à M. J. Hubert » (Source : Bibliothèque de l’Arsenal) 

Puis, arrive la guerre avec la Prusse. Jules Marie de La Ruë est amené à proposer ses services à l’amiral Alphonse de Fleuriot de Langle, responsable du 6e secteur dont le château de la Muette sert de quartier général pendant le siège de Paris qui demande au commandant du 50e bataillon le détachement du baron pour qu’il puisse faire fonction d’officier trésorier et d’ordonnance (notamment avec son vélocipède) et plus tard celui d’intendant (Lettre du 6 octobre 1870 de l’amiral Alphonse de Fleuriot de Langle au ministre). Cette lettre constitue la première attestationdu terme vélocipède dans un document de l’armée. 

Après le désastre de Sedan, Aimé Olivier, « accouru à Paris, rencontra les membres du Gouvernement du 4 septembre et leur proposa d’organiser, toujours à ses frais, un corps d’éclaireurs montés sur vélocipède. Sceptique, le gouvernement autorisa pourtant le ministre de la Guerre à lui donner un laissez-passer lui permettant d’aller jusqu’aux avant-postes », écrit Baudoin Roumens dans « Aimé Olivier de Sanderval Lalmamy blanc du Foutah Djalon, roi du Kahel ». Il se fit charger, dans la région de Sedan, par le général Trochu d’une mission de reconnaissance afin d’étudier la possibilité d’organiser des unités d’éclaireurs vélocipédistes. Pris par l’armée prussienne, il faillit être fusillé pour espionnage. Il parvint finalement à gagner Marennes. 

Lors de la Commune de Paris, selon le général Bourelly, et non Baurelly comme il est écrit dans l’article de La Presse ci-dessous, le colonel ROSSEL aurait repris l’idée et créé un escadron de cent vélocipédistes, comme estafettes. 

La Presse, 8 janvier 1901,
article trouvé sur Gallica par Christophe Lagrange

Ce serait donc Louis Rossel qui, le premier, équipa l’armée de vélocipèdes. Il  fut  le seul officier supérieur à rejoindre La Commune.

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