Au cours des quelques années qui suivirent son lancement par les Michaux, le vélocipède se développa lentement à Paris. Puis, ce nouvel engin connut un succès croissant dans la capitale, en particulier à partir de l’Exposition universelle de 1867. Un article anglais note : « Les vélocipèdes sont presque devenus une institution à Paris, où le cyclisme constitue désormais une pratique sociale tout aussi nécessaire que la danse et l’équitation … ». Et on peut lire dans l’article découvert par David Herlihy dans Le Figaro du 16-17 août 1867 : « M. Augier a l’intention, quand on répétera sa pièce en vers au Théâtre-Français, de venir de Croissy à Paris … en vélocipède ». Le célèbre dramaturge est ainsi le premier vélotafeur connu de l’histoire de l’humanité! Plusieurs caricaturistes l’ont croqué sur son engin, comme Beyle pour la couverture de l’hebdomadaire parisien Le Bouffon du 8 septembre 1867. Ce dessin est la première représentation d’un vélocipédeur chevauchant sa monture.
Pour répondre à la demande, la famille Michaux s’associa aux frères Olivier, ingénieurs centraliens, pour lancer en 1868 à Paris la première entreprise de fabrication industrielle de cycles, Michaux et Cie, contrôlée par ces derniers. Puis ils la rachetèrent totalement pour lancer La Compagnie parisienne des vélocipèdes en 1869.
Parallèlement à cette première industrie de cycle créée au monde, tout un artisanat se développa dans la capitale qui compta en 1870 près d’une centaine de fabricants souvent venus de la charronnerie et de la mécanique. Parmi les premiers concurrents de Michaux, René Olivier cite comme constructeurs Sargent et Maybon dès 1864, Michaux n’ayant pas déposé de brevet.
Sargent vend des vélocipèdes à corps cintré comme celui detenu par le musée de Domazan, avec une plaque où est mentionné : « Sargent, breveté S.G.D.G. 73 Champs Élysées Paris ». Cet artisan déposera un brevet pour un tandem en 1868 et fera une annonce publicitaire dans le Vélocipède Illustré de 1870. Il s’agit de Charles Sargent, et non d’Isaac qui est cité plusieurs fois dans des ouvrages, en particulier pour le travail du bois dans le Roret, Manuel du charron et du carrossier et qui a un magasin où il habite alors au 21, 23 allée d’Antin (devenue avenue Franklin D. Roosevelt). Dans ce Manuel du milieu du siècle, le vélocipède n’est pas cité parmi la kyrielle de véhicules décrits. Plus tard en 1896, une Encyclopédie Roret – Manuel de Vélocipédie écrit par Louis Lockert sera éditée (L. Mulo éditeur)
Selon le Bottin de 1870, Maybon est un constructeur de voitures exerçant au 11, Cité Godot-de-Mauroy.Un quatrième constructeur connu est Pierre Lallement. Après avoir travaillé au début des années chez Stromaïer et Jacquier, artisans situés vers les Grands Boulevards, chez qui il a construit un vélocipède, ce Parisien natif de Pont-à-Mousson est parti avec un exemplaire en Amérique et il déposa en 1866 le premier brevet pour un vélocipède à pédales : c’est la première représentation connue de ce nouveau véhicule. Puis il reviendra s’installer à Paris.
Et, dans cette ville, seront recensés au cours de ces années près d’une centaine d’artisans ou de commerçants vendant des vélocipèdes. Leur nombre progressera rapidement en 1870, d’après le Bottin. Une liste en a été établie et leur emplacement, souvent connu, a été mis sur une carte accessible à cette adresse :
Cliquer ici pour afficher le Paris vélocipédique avant 1871 et ses artisans sur un plan plus grand
Et, corollairement à cette activité issue de l’adaptation de la pédale, la capitale française a été le lieu de dépôt de très nombreux brevets à partir de 1867 : 61 en 1868, 128 en 1869 et 20 en 1870, selon Keizo Kobayashi . L’un d’entre eux déposé par Desnos en 1868 décrit le principe de la bicyclette.

Et s’enchaînèrent au cours des années 1860 à Paris toute une série d’évènements qui sont souvent des premières mondiales d’évènements historiques concernant l’histoire des cycles.
Au mois d’août 1865, les frères Aimé et René Olivier avec leur ami Georges de La Bouglise organisèrent la première randonnée « cyclotouriste » : ils partirent de Paris à vélocipède pour rejoindre Avignon en empruntant la route impériale qui deviendra la route nationale 7.
Pierre Lallement de retour à Paris publia le premier catalogue de vélocipèdes en 1867.
Pendant la deuxième Exposition universelle, les Parisiens lisent le premier appel en faveur de l’usage du vélocipède dans la presse. L’article est intitulé En véloce ! En véloce ! est publié dans Le Sport du 28 juillet. L’appel sera entendu : quelques mois après, se tint le premier grand rassemblement de vélocipédeurs. Plus de 100 personnes sur leur monture se réunissent au Panorama devenu théâtre du Rond-Point aux Champs-Élysées pour rejoindre Versailles le 8 décembre 1867 (cf. la page premières courses dans le menu « histoire »).
Cette rencontre précédera les premières courses officielles mondiales de vélocipèdes au Pré Catelan (24 mai 1868), puis de Saint-Cloud (31 mai 1868) avant le lancement du Paris – Rouen, première course mondiale sur route, le 7 novembre 1869. Cette cours est précédée de la première exposition vélocipédique qui s’est tenue du 30 octobre au 5 novembre 1869 au Pré Catelan à Paris : elle rassembla avec l’appui de la Compagnie Parisienne des frères Olivier près de 80 vélocipèdes. Ces courses seront suivies en 1891, avant le premier Tour de France en 1903, des glorieux Bordeaux-Paris et Paris-Brest et retour : son nom est à l’origine de la célèbre pâtisserie centenaire le « Paris-Brest » en forme de roue créée à Maisons-Laffitte par la maison Durand.
Mais Paris est devancé par la région lyonnaise dans plusieurs domaines.
Avec le succès du véhicule, paraîtra le 1er avril 1869 Le Vélocipède Illustré, première publication consacrée au vélocipède après les périodiques éphémères The Velocipedist lancé à New-York le 1er février 1869 (mensuel, 3 numéros, en ligne) et Le Vélocipède à Grenoble le 1er mars 1869, dirigé par Louis Fillet (6 numéros). Face au succès, Le Vélocipède Illustré fut hebdomadaire puis bihebdomadaire. La presse sportive est lancée. En 1892, Pierre Giffard lancera le quotidien Le Vélo : ce fut le début de la presse sportive à grand tirage. Au siège du Vélocipède Illustré , au 19, rue des Martyrs (Paris IX e), fut ouvert la première librairie spéciale de vélocipédie. Ce périodique était dirigé par Lesclide, futur secrétaire de Victor Hugo.

Le premier ouvrage publié dans ce domaine le 29 février 1868, Le Vélocipède, sa structure, ses accessoires indispensables, le moyen d’apprendre à s’en servir en une heure par le Lyonnais installé à Voiron (Isère), Alexis-Georges Favre, a devancé Note sur le Vélocipède Michaux à pédales et à frein par un amateur sorti en avril à Paris après être paru partiellement dans D’Artagnan.
Les véloce-clubs
Peu après, le 12 mars 1868, est fondé le Véloce-club de Valence qui fut considéré comme le premier au monde. Son successeur, « Roulons En Ville à Vélo » (REVV), expose des documents historiques sur son site. On y présente aussi le voyage de Keizo Kobayashi, qui a réédité en 2009, la randonnée Paris-Avignon des frères Olivier.
Mais des recherches récentes laissent à penser que celui de Paris l’a précédé. Différents articles de la presse y font allusion comme par exemple Le Figaro du 7 octobre 1867 qui cite même le président du cercle de Paris : « Il se forme un cercle de vélocipédeurs sous la présidence de M. Édouard Delessert. M. Delessert descend tous les matins de Passy à Paris sur un vélocipède arabe». Mais on a surtout retrouvé une lettre datée du 7 mars 1868 adressée à Michaux et signée « Léonce Durruthy, membre du véloce-club ». La date exacte de création de celui de Paris est inconnue car aucune trace n’a été à ce jour retrouvée dans les archives. Léonce Derruthy est enterré au cimetière du Père Lachaise (62e division).
Le foisonnement des véloce-clubs qui suivit fut en France un phénomène social de grande ampleur mais totalement oublié: des milliers d’associations de cyclistes furent crées à travers la France au XIX e siècle.
Ce mouvement a été lancé dès le début du vélocipède. L’article A véloce, à véloce !!! publié dans Le Sport du 28 juillet 1867 en parle déjà. Après Paris et Valence, suivent ceux de Castres (septembre), Carpentras (novembre) puis une second cercle parisien, la Société Pratique du Vélocipède, soit cinq en 1867 ou 1868. Suivent en 1869 ceux de Marseille, Rouen, Avignon, Toulouse, Carcassonne, etc. Le phénomène se généralisa dans le pays et près d’une quarantaine de véloce-clubs seront créés sous le Second Empire. En 1870, plus d’un tiers des départements ont un cercle de vélocipédistes.
Deux villes auront deux cercles, Paris et Rouen. D’abord le Véloce-Club de Paris qui fut créé début 1868 avec soixante membres inscrits. D’après ses statuts, ce cercle avait son siège au 30 de la rue Montaigne dont l’avenue était le prolongement, et non au Pré Catelan (au bois de Boulogne) où il avait un chalet. Ses premières réunions se tinrent rue Jean Goujon. Puis, la Société Pratique du Vélocipède est attestée par un arrêté de la préfecture de police du 22 décembre 1868 : Adrien de Baroncelli de Javon qui appartint au premier devint membre fondateur et secrétaire du second, qui est probablement issu d’une scission. Ce sera le cas à Rouen : dissident du Véloce-Club, l’Union des Véloce-Clubs de Normandie a été créée pour être réservée aux classes aisées et elle n’accueillera que des professions supérieures, comme le Dr Bellencontre qui s’était intéressé à la relation entre santé et vélocipédie. Le Véloce-club de Rouen existe toujours et affirme être la plus ancienne société cycliste du monde en activité.

Source : Archives Famille Olivier de Sandeval – Coll. Archives Départementales du Calvados
Droit de Copie © : Direction des Archives du Calvados
Et, si un encart publicitaire pour des vélocipèdes est paru à Paris dans la Gazette des Étrangers de mars 1868 pour Michaux, il a été précédé par celui pour Henri Cadot publié dans Le Courrier de Lyon du 12 septembre 1867 : c’est la première représentation d’un vélocipède en France.
Et aujourd’hui, témoins de ce glorieux passé, il nous reste le vocabulaire de la vélocipédie souvent d’origine parisienne et … la brasserie « Le Vélocipède » toujours en activité avec ce nom depuis son ouverture au plus tard en 1881 : un article du Sport Vélocipédique du 2 avril 1881 indique que la réunion de la société « Sport Vélocipédique Parisien » du 25 mars s’y tiendra. Cette brasserie en sera son siège, ce qui est probablement en relation avec son nom.
C’est un cas unique au monde : Le Vélocipède trône au 79, boulevard de Sébastopol sans discontinuité depuis plus de 130 ans, au cœur d’un quartier où se développa à la fin du XIX e siècle l’artisanat et le commerce du vélocipède, comme la maison Elias Howe au 48 du boulevard.
![]() | ![]() |
C’est devant ce café qu’eut lieu le 22 août 2007 un accident où une voiture broya une bicyclette accrochée à une croix de Saint-André. Le hasard veut que le premier accident parisien de vélocipède connu et relaté dans Le Vélocipède Illustré du 10 juin 1869 eut lieu aussi boulevard de Sébastopol.

Le vélocipède fut progressivement adopté par la haute société parisienne. Il fut de moins en moins l’objet de quolibets mais fut promu malgré la réticence de quelques journalistes et d’une partie du public : se faire prendre en photo sur un vélocipède devint flatteur.

Après le vélocipède, l’usage de la bicyclette se développa en France. Et Paris succomba peu à peu au charme de la petite reine.
Un témoignage intéressant est celui du défilé organisé pour la fête de la mi-carême, le jeudi 9 mars 1893 : un cortège d’étudiants part à 11 heures de la place de la Sorbonne pour rejoindre au Cours de la Reine (près du berceau historique de l’atelier des Michaux et l’usine des Olivier disparus) le cortège principal où trônait sur son char la Reine des Reines parisienne. Selon Le Petit Journal du 10 mars 1893 : « Douze éclaireurs des Facultés, montés sur des vélocipèdes enrubannés et revêtus de casques aux couleurs universitaires, « pédalent », précédant la bannière du quartier Latin, haute de trois mètres … ».

La bicyclette fut considérée comme moyen de transport mais aussi un vecteur pour le tourisme. Une association joua un rôle fondamental : le Touring-Club de France. Il fut créé sur une idée de Vélocio le 26 janvier 1890, pour développer le tourisme, surtout vélocipédique. Il prit rapidement un essor incroyable et atteint 100 000 adhérents en 1905, puis 700 000 en 1958. D’abord domicilié au 8 de la rue Ancelle à Neuilly, le domicile du premier secrétaire général Marcel Violette, son siège fut transféré dans trois adresses successives à Paris avant de s’établir définitivement en 1905 au 65 de l’avenue de la Grande Armée (voir la revue du TCF, octobre 1903, p. 437). Deux ans plus tôt, le 29 septembre 1903, le TCF y avait acquis un immeuble majestueux construit par Hunebelle. Il sera vendu en 1980 peu avant la liquidation du TCF. L’immeuble se dresse toujours, restauré dans sa forme d’origine sans les étages rajoutés. Dans l’imposte de la porte d’entrée, une ferrure en forme de roue, le symbole de l’association, rappelle toujours cette institution. Le TCF avait été reconnu d’utilité publique en 1907.
![]() | ![]() |
Autre témoignage : en 1896, Marie et Pierre Curie en demandèrent une paire (modèle homme) comme cadeau de mariage et partirent en voyage de noces avec, avant de faire les premières années une randonnée chaque été. Ils sont photographiés ci-dessous à Sceaux, à quelques kilomètres au sud de Paris, le jour de leur mariage, devant la maison de M. Curie père, maison située aujourd’hui 9 de la rue Pierre Curie.

Seule, la ville de Paris, a réuni autant d’évènements historiques, autant de premières mondiales, relatifs à la vélocipédie, ce qui fait de Paris le berceau mondial de la bicyclette.