Religion et vélocipédie

La première apparition d’un culte du vélocipède pourrait être datée de 1869 avec la publication par l’écrivain autrichien Louis-Etienne Foglar sous le nom de Leberecht Flott de Sanct Velociped à Leipzig. Cet ouvrage introuvable serait une satire.

La vélocipèdie tiendra ensuite en France dans la société une place si importante qu’elle est même devenue, pour certains, de l’ordre du culte. Le Tour qui fêtera en 2013 sa 100 e édition est la manifestation la plus évidente de ce phénomène. Il demeure la course la plus importante au monde

Cette place du cycle fut plus prégnante dans le passé, en particulier avant la guerre de 1914-1918. Selon Alex Poyer, il y avait près de 1700 véloce-clubs vers 1900 dont 19 pour la seule capitale, loin devant Rouen avec ses cinq associations. Et, dans un pays marqué par l’église catholique, l’idée d’une fête organisée le même jour partout en France et baptisée Saint-Vélo fut lancée par un journaliste qui signait Fafiotte (fafiot signifiait en argot papier blanc, billet, etc.). Les Annales vélocipédiques de juin 1893  jugent “ le projet attrayant ”,  mais il cette fête ne connut pas un succès durable. Une photographie, conservée à la bibliothèque de Fontainebleau et mise en ligne par Alexandre Sumpf, nous montre une scène de cette fête dans cette ville, probablement en juin 1893. Lors de la seconde édition, début septembre 1893, au carrefour de la Fourche (renommé de la Libération), 300 cyclistes passent devant le landau présidentiel et saluent  Sadi Carnot ; une bicyclette dont ce président de la République aurait été propriétaire était exposée au musée aujourd’hui fermé du Buisson de Cadouin (Dordogne).  Cette “ première marque de sympathie que le chef de l’État ait donnée ” au sport vélocipédique résulterait de l’action du président de la Société vélocipédique de Fontainebleau, M. Porgeron, qui voit les démarches entreprises auprès de la municipalité et du sous-préfet couronnées de succèsselon Le Véloce-Sport du 7 septembre 1893, cité par Poyer dans sa thèse :

http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2000.poyer_a&part=29986#Noteftn698

La Saint-Vélo réunit des milliers de bicyclistes réunis dans 153 manifestations le 8 juillet 1894  mais ce succès fut sans suite.

Le développement de la bicyclette n’a pas pu laisser l’Église catholique sans réaction. Elle a d’abord regardé avec suspicion ce nouveau véhicule : en 1895, la Sacrée Congrégation recommande l’interdiction de l’usage de ce véhicule aux ecclésiastiques qui non seulement préservera le clergé d’accidents mais aussi risque de provoquer le scandale auprès des fidèles.

La Bicyclette, 18 janvier 1895

Traduction (A.P.) 

La Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers a soumis à un examen approfondi votre rapport concernant des prêtres utilisant un cycle appelé vélocipède.

En conséquence, Monseigneur, la même Sacrée Congrégation salue votre zèle et votre prudence et les recommande, car une interdiction de ce genre, non seulement libère les prêtres eux-mêmes de dangers corporels, mais leur évite de scandaliser les fidèles et d’être eux-mêmes l’objet de moqueries. En attendant,  je prie le Seigneur de vous accorder bonheur et prospérité.

Confraternellement,

Rome, le 28 septembre. 1894.

« Cardinal Isidoro VERGA, Préfet de la Congrégation. »

Mais, devant les bénéfices que pouvait en retirer le clergé en visitant plus facilement ses ouailles, l’emploi de cycle se développa, avec l’aval parfois prudent des autorités comme cette lettre adressée en 1902 à un curé du diocèse du Mans :

Le catalogue Manufrance L’Hirondelle proposa dès 1895, et ce pour la première fois, une bicyclette spécifique pour les femmes (Marie Curie en 1896 est photographiée avec une bicyclette pour hommes).  Et cette bicyclette N°33 est vendue dans ce catalogue « pour dame et ecclésiastique » : la demande du clergé existait donc à cette époque.

Un pèlerinage annuel se tient à Notre-Dame des Cyclistes, chapelle du XI e siècle construite sur une villa gallo-romaine et située à La Bastide d’Armagnac, le lundi de Pentecôte depuis sa création en 1959. Les Amis de Notre-Dame des Cyclistes y organisent une fête pour pour célébrer l’anniversaire de la consécration de la chapelle comme sanctuaire national du cyclisme et du cyclotourisme par le Pape Jean XXIII le 18 mai 1959. Ancien enfant de chœur de l’abbé Massie, le fondateur de la chapelle, l’abbé Busquet qui s’était imposé comme son successeur naturel, s’est éteint en août 2011.

Portail au chevet de la chapelle Notre-Dame des Cyclistes

Pour la célébration de son trentième anniversaire en 1989, la direction du Tour de France ont proposé au chapelain le départ de la huitième étape du Tour « La Bastide d’Armagnac / Pau », plus précisément de la chapelle Notre-Dame des Cyclistes. La Grande Boucle y sera passée à quatre reprises : 1984, 1989, 1995 et en 2001.

Il est inscrit sur la statue de la Vierge installée au cœur du jardin : « Marie, Reine du monde, protège la terre parcourue en tous les sens par les cyclistes amoureux de la belle nature du Seigneur ». L’auteur de cette supplication savait-il que la première course au monde se tint de Paris à Versailles le jour de l’Immaculée Conception 1867 ? (Cf. la page Courses dans la rubrique Histoire du site)

http://www.notredamedescyclistes.net/historique.html

http://isabelleetlevelo.20minutes-blogs.fr/archive/2011/08/18/l-abbe-michel-busquet-vient-de-deceder.html#more

Aujourd’hui, même les évêques roulent à bicyclette sans état d’âme.

Le culte de la bicyclette se développe aussi à l’étranger.

Le visiteur passant dans l’arrière-pays de la Côte ligure peut voir ce curieux spectacle à Apricale : une bicyclette accrochée en haut du clocher de l’église. Ce fait singulier est même signalé sur le site de la commune :

http://www.apricale.org/it/ilturismo_curiosita_bici.asp

Et Saint Clou, a-t-il un rapport avec les cycles ?

Chemin de Sain-Clou à Caromb, Provence

Plus de vingt lieux-dits, répartis sur tout le territoire, portent le nom de ce saint en France, dont deux communes, Saint-Cloud à l’Ouest de Paris et Saint-Cloud-en-Dunois, sans compter un Saint-Cloud, rebaptisé Gdyel en 1962 près d’Oran, dont le nom venait de l’enseigne d’une épicerie A la Ville de Saint-Cloud, et d’autres Outre-Atlantique.  

Blason de Saint-Cloud (Haut-de-Seine)

D’azur à une fleur de lis d’or défaillante à senestre, accostée d’une crosse contournée du même.

Saint-Cloud (département d’Oran, Algérie)

Deux sont aussi aujourd’hui écrits Saint-Clou, sans le « d » final :  à Cornebarrieu en Haute-Garonne et à Caromb dans le Vaucluse. Mais pourquoi donc y a-t-il cet odonyme Saint-Clou, en fait issu d’un hameau de Caromb ? Ce nom est en liaison avec saint Chlodoald, petit-fils de Clovis, qui y a une chapelle qui lui est dédiée depuis 1468. Un historien local, Jean Gallian, avance deux hypothèses : soit Chlodoald, nom qui a donné Clou, s’est réfugié en Provence pour échapper au massacre fomenté par ses oncles, soit son culte est arrivé avec celui de Saint-Maurice : Chlodoald s’est retiré au monastère d’Agaune (Suisse) construit pour  saint Maurice et la légion thébaine. D’ailleurs, la fête annuelle à Caromb se tient le 22 septembre, jour de la Saint-Maurice, mais aussi date de la journée sans voiture, donc favorable à l’emploi des clous !

D’aucuns ont trouvé un lien linguistique ténu entre le nom Cloud, qui a donné Louis ou Lewis en anglais, et la tige de métal pointue.  Si le chantre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, Anceau, envoya de Terre Sainte en France un fragment de la « vraie croix », il n’est pas attesté qu’il fût accompagné d’un ou plusieurs clous de la passion du Christ ; mais on peut l’imaginer, comme l’ont fait des universitaires de Saint Cloud (Minnesota). Cette relique fut transportée à Saint-Cloud le 30 juillet 1109, selon l’abbé Lebœuf, ou en 1120 selon Geneviève Bresc-Bautier (1971).

Le nom de saint Cloud, où se tint la première course cycliste, au monde à la Pentecôte 1868, a-t-il un rapport avec le clou ? En fait, la course eut lieu 40 ans avant l’attestation du mot « clou » avec le sens de bicyclette. Il ne faut pas croire non plus qu’il y ait un rapport entre les deux parce que saint Cloud était invoqué contre les furoncles ou clous, abcès redoutés des cyclistes ! Cloud tire son nom de Clodoald, petit-fils de Clovis et fils de Clodomir Ier, roi d’Orléans. Décidant de s’éloigner des querelles de pouvoir menées par ses oncles, Chlodoald préféra la crosse d’évêque, d’où le blason de la ville de Saint-Cloud avec crosse en pal, à la couronne du royaume des Francs. Il s’installa à Novigentum (le nouveau village, en gaulois), sur les bords de Seine, un hameau alors peuplé de bûcherons et de pêcheurs. Il y fit construire un monastère dont il reste encore un mur, place du Moustier. Après sa mort en 560, des miracles eurent lieu autour de son tombeau et il fut canonisé au cours du VIIe siècle. Le village prit alors le nom de Sanctus Clodoaldus qui donna Saint-Cloud. Les rassemblements à l’occasion des pèlerinages vers la ville du saint sont à l’origine de l’actuelle fête de Saint-Cloud, une des plus anciennes fêtes foraines de France.

 Site de Jean Gallian consacré à l’histoire de Caromb :

http://jean.gallian.free.fr/carb2/ch5.html

 Les Six jours de Paris

 Paris a eu longtemps une compétition cycliste célèbre, les Six jours de Paris : elle se tint au vélodrome d’hiver, dit Vel d’Hiv, de 1913 à 1958, puis au Palais omnisport de Bercy de 1984 à 1989.

La première épreuve de ce type, sur piste et durant six jours, s’était tenue en Angleterre en 1878. Elle mettait en compétition des coureurs individuels qui couraient 24 heures sur 24 pendant 6 jours. La formule a évolué, mais toujours durant six jours. Elle devint populaire aux États-Unis à partir de 1891. Puis la formule fut adoptée sur le continent européen, particulièrement à Paris où elle remporta un vif succès. En 1926, commença l’élection de la Reine des 6 jours, chargée de donner le départ de la course.

Le choix de six jours n’est pas le fruit du hasard. Depuis l’an 321, le dimanche est jour férié dans la chrétienté : l’empereur Constantin l’instaura comme jour de repos, faisant explicitement référence dans son édit au jour de repos de Dieu et suggérant ainsi l’idée que le dimanche est le septième jour, ceci en référence à la Genèse (2, 2) et au livre de l’Exode ( 20, 8 ) : Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes. Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. 

Et l’Angleterre était jusqu’au XX e siècle très respectueuse du repos dominical, ce qui explique la durée de cette épreuve. Mais la durée de la semaine à l’origine indirectement du nom de cette course remonte probablement aux Chaldéens : elle a une origine astronomique, le quart d’une lunaison, mesure de temps facile à repérer.

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