Bicyclette

Le nom bicyclette apparaît en français dans le catalogue de bicycles de la société Les Fils de Peugeot Frères de 1886 (reproduit dans L’ère du grand Bi en France 1870-1890 de Claude Reynaud, p. 160 ). C’est cette société qui a produit la première bicyclette industriellement en France, par imitation de modèle anglais dont elle a emprunté le nom. La date exacte d’édition du catalogue nous est inconnue. Elle peut remonter à la fin 1885 car la décision prise par Armand Peugeot, de retour d’Angleterre, de lancer la société dans la construction industrielle de cycles a été annoncée le 6 juin 1885 au conseil d’administration. Le nom « bicyclette » est aussi attesté au cours de la même période dans un article paru dans le Véloce Sport n°48 daté du 28 janvier 1886 : « La maison « Rudge » met en vente cette année un nouveau genre de bicycle de route qui a nom la bicyclette … ». Le lendemain, ce terme bicyclette est employé entre guillemets au masculin dans Le Sport vélocipédique. Puis, dans les mois qui suivirent, toute la presse sportive emploiera le masculin mais abandonnera rapidement les guillemets. Mais, dans le Véloce Sport n°20 du 22 juillet 1886, le nom repasse définitivement au féminin.

L’emploi moderne en français de bicyclette vient du nom d’un nouveau modèle présenté à Londres, The Bicyclette, attesté dans un article publié dans The Cyclist n°17 du vendredi 11 février 1880 (p. 173) consacré à l’ouverture du Stanley exhibition ; Lawson y tient le stand de la « Tangent & Coventry Tricycle Company » de Coventry dont il est directeur commercial : «The bicyclette, a new introduction to the London public, and indeed the world at large … It is a safety bicycle ».

The Cyclist n°17,  vendredi 11 février 1880

L’emploi initial de bicyclette au masculin, sauf dans la première attestation, est important car il renforce l’hypothèse de l’emprunt de ce nom à une langue étrangère. Le masculin qui tient lieu aussi de neutre depuis sa disparition en ancien français (avant 1350) est adopté pour la majorité des emprunts de noms étrangers employés en français, en particulier dans le domaine technique. Puis, comme la quasi-totalité des substantifs terminés en –ette (squelette vient du grec), bicyclette sera rapidement ressenti du genre féminin.

Le nom bicyclette a été diffusé par la presse sportive parisienne mais aussi par les frères Gauthier qui fabriquèrent la première bicyclette française à Saint-Étienne. Une publicité pour l’Agence générale vélocipédique publiée dans Le Cycliste Forézien N°1 du 1er février 1887 et intitulée « ROVERS OU BICYCLETTES » corrobore l’emploi de bicycletteRover sera rapidement abandonné en français mais il restera employé dans l’est de l’Europe. L’adoption rapide par les Français du mot bicyclette a été probablement favorisée par sa connotation hypocoristique 

Si le mot bicyclette n’est pas attesté en français avant l’apparition du nom de marque anglaise The Bicyclette, cela ne prouve pas qu’il n’ait pas existé oralement avant. L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence. Et on ne peut exclure définitivement que bicyclette n’ait pu être employé oralement en France pour désigner un nouveau bicycle, comme par exemple le véhicule à propulsion arrière lancé dans les années 1870 par Viarengo de Forville.

A l’opposé, The Bicyclette peut très bien avoir été un mot anglais formé à partir du nom français bicycle car le diminutif d’origine française –ette avait été adopté pour la formation de noms en anglais dès le XIXe siècle.

Mais, quelque soit l’hypothèse retenue, The Bicyclette n’aurait-il pas été ressenti comme un nom d’origine française de même que The Facile ou The Premier (Racer) ?

Source : The King of the Road de Andrew Ritchie 

Brouette, nom issu de beroue signifiant deux roues, est un doublet étymologique de bicyclette. Pourquoi n’a-t-il pas été repris au XIXe siècle  pour cette dernière ? D’abord, brouette désignait au moins un autre véhicule, celui à une roue et brancards ; mais peut-être aussi parce que l’usage des vélocipèdes, bicycles puis bicyclettes, et de leur dénomination, était initialement réservé aux classes aisées, sans contact fréquent avec les couches populaires : il n’y avait plus de cocher ou de porteur pour ces nouveaux véhicules. Et les termes utilisés seront tous issus de la langue savante basée sur des racines grecques et latines. Seul, les noms clou et  bécane feront exception mais ils resteront dans le registre familier. Bécane fût cependant employé deux fois par Proust qui n’utilisait que le nom bicyclette, mais c’est dans la bouche d’Albertine, «une jeune fille pauvre, peu cultivée mais intelligente ».

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