Diffusion de termes d’origine française dans le monde
La moitié de l’humanité emploie ou comprend un nom d’origine française pour la bicyclette
Paris a joué un rôle important dans la création de nouveaux moyens de transport ainsi que de leurs noms. Certains mots parisiens sont restés cantonnés au français comme fiacre, d’autres ont eu une large diffusion dans le monde comme taxi, nom devenu quasi universel, bus, ainsi que les dénominations de cycle Bien qu’il soit parfois difficile d’estimer le nombre de personnes employant un terme donné de véhicule dans le monde, on peut estimer que les noms d’origine française désignant la bicyclette sont employés ou compris peu ou prou par près de la moitié de l’humanité en ce début de XXI e siècle. Il s’agit bien sûr d’une approximation. Il est parfois hardu de connaître quel terme est couramment employé ou quels sont ceux qui sont compris de la population. Par exemple, darâja dans le monde arabe comporte de nombreux synonymes (cf. liste en annexe). Plusieurs termes sont parfois en concurrence comme vélo et bicyclette pour les 220 millions de locuteurs francophones dans le monde.
Les emprunts des noms français pour bicyclette, et leur parcours sont très divers suivant chaque pays et chaque mot. Les termes seront successivement abordés.
1 – Vélocipède, vélo, fiets, Fahrrad, rower, bicycle, bicyclette, bécane
Dès le lancement de la draisienne en 1818, un grand nombre de langues européennes emprunteront très vite le nom vélocipède. Il a été repris avec le vélocipède Michaux. L’emploi des formes calquées sur le nom français est devenu archaïque ou réservé au véhicule historique, à une exception notable près, en russe. En raison de la date de la première attestation du nom en 1875, l’emprunt de vélocipède en russe pourrait être dû au fait que le véhicule et le terme ont été introduits quand le nom était encore employé couramment en France, au moins dans la langue soutenue, donc après le succès du vélocipède (1867) mais avant que les noms bicycle, véloce et vélo ne soient couramment employés. L’introduction de ce nom s’est probablement faite par le biais de la succursale à Saint-Pétersbourg, alors capitale de l’empire sous Alexandre II, de la « Compagnie Parisienne des Vélocipèdes ». Le nom vélocipède a dû d’abord être adopté par les classes privilégiées avant d’être diffusé dans toutes les couches de la société et dans tout l’empire. L’influence du tout proche Grand-duché autonome de Finlande qui fut sous souveraineté russe de 1809 à 1917 et où le nouveau véhicule y était appelé welocipede dès 1868 n’est pas à écartée. Et velosiped avec le sens de bicyclette est resté employé dans l’écrasante majorité des langues de l’empire tsariste: russe, ukrainien, biélorusse mais aussi géorgien, azéri, kazakh et ouzbek (langues turques), tadjik (langue persane), tchétchène-ingouche, tatar, letton, lithuanien, soit au total plus de 300 millions de locuteurs. Font exception l’arménien, l’estonien, le finnois, le lituanien et l’ossète.

Sous sa forme abrégée, vélo a été emprunté par tous les Suisses et les Luxembourgeois ainsi que par des langues africaines comme le lingala dans la vallée du Congo ou le peul au Sénégal.
Un autre dérivé plus surprenant de vélocipède pourrait être fiets, terme usuel pour bicyclette en néerlandais. En effet, s’appuyant sur un article consacré à ce nom et publié dans la revue De Nieuwe Taalgids, une version récente du dictionnaire étymologique néerlandais Nederlands Etymologisch Woordenboek de Jan De Vries[1] retient cette hypothèse : attesté en 1886, fiets viendrait d’une contraction de vielespee issu lui-même de vélocipède. Mais, dans Le vélocipède, objet de modernité 1860 – 1870, Gert-Jan Moed, président du musée Velorama, émet l’hypothèse que le mot vient d’une forme altérée d’une insulte en brabançon employée « pour décrire les garnements qui se sauvaient en courant après avoir fomenté un mauvais coup ». Fiets a remplacé aujourd’hui le mot officiel rijwiel (cycle). L’article de Moed signale le débat portant sur la traduction de vélocipède en néerlandais, un fait unique dans les années 1860 . Le Pr De Vries avait proposé en 1869 wieler (véhicule à roue) et les véhicules à trois ou quatre roues s’appelleront trapwagens (véhicule à pédales). Un télescopage entre les deux origines ne serait-il pas possible ?
Les habitants de deux pays importants d’Europe n’utilisent pas de mots d’origine française pour la bicyclette, l’Allemagne et la Pologne.
Veloziped avait été adopté en allemand. Mais, dans le cadre de la normalisation de la langue et de la germanisation de mots d’origine étrangère au cours du dernier tiers du XIX e siècle, dans laquelle des associations comme la Allgemein Deutsche Sprachverein (ADSV, Société linguistique générale allemande) créée en 1885 jouèrent un rôle important, les noms d’origine française furent remplacés par des équivalents germanique. Ce fut le cas de das Velo remplacé par le néologisme das Fahrrad, mot formé du verbe fahren, aller (avec un véhicule), et de das Rad, la roue. Fahrrad aurait été adopté par la Übereinkunft deutscher Radfahrervereine (Convention cycliste allemande)en 1885, ou au plus tard en 1889. Le verbe correspondant est radfahren. Das Fahrrad sera abrégé en das Rad ou en Autriche et en Bavière das Radl, forme considérée comme familière en allemand. En ligne ici.
Rover est attesté dans une publicité stéphanoise de 1887 comme synonyme de bicyclette mais le mot n’eut pas de succès en France, le terme bicyclette lui ayant été finalement préféré. Mais Rover a été repris dans ce sens en biélorusse et avec l’orthographe anglaise par le slovaque et le yiddish. Quant à la Pologne, elle adopta en 1887 sous la forme rower le nom de marque de cycles anglais après avoir comme en France hésité entre cette forme et bicycli. Le véhicule connaissait déjà un certain succès comme en témoigne en 1886 la fondation de la Warszawskie Towarzystwo Cyklistów, (association des cyclistes de Varsovie), dont le premier président fut le comte August Potocki. Ce dernier avait déjà acheté un vélocipède produit par les Olivier à la fin des années 1860. La marque de cycles Rover avait été fondée par John Starley en 1883 pour construire un tricycle puis elle avait connu en Grande–Bretagne dès le début de 1886 un grand succès avec la première bicyclette (à chaîne) : il fut tel qu’il suscita le fameux slogan de John Kemp Starley : « Rover a lancé la mode dans le monde ». D’origine néerlandaise, le nom rover est passé en anglais avec le sens pirate au XIV e (sea-robber) puis de vagabond et enfin routier. Rover est issu d’une racine germanique comme rauben en allemand, to rob en anglais et dérober en français liée au vol. Le symbole de la marque automobile est un drakkar.

Si l’on ajoute aux locuteurs employant dans le monde vélocipède ceux qui utilisent vélo et fiets, le total dépasse 500 millions de personnes.
Bicycle s’est imposé en Angleterre pour la bicyclette. Puis il a été adopté par les anglophones du monde et certaine langues de l’ex-Empire britannique comme l’ourdou. Bicycle est employé par plus de 800 millions de locuteurs au total. Son abréviation bike quitend à le remplacer est issue d’une mauvaise coupure : il a été compris comme bic – ycle.
Cycle a été adopté pour la bicyclette par les pays scandinaves. Prononcé à l’anglaise [‘saIkl], cycle qui signifie aussi bicyclette en anglais a été utilisé avec ce sens par les grandes langues du monde indien à l’exception de l’ourdou, soit plus de 700 millions d’habitants
Le mot bicyclette a été adopté à partir du français dans de plusieurs langues : portugais (1890), italien (1890) avec le verbe biciclittare (1902), espagnol (1899), roumain, turc (1898), arabe en concurrence avec d’autres mots comme darâja, et dans de nombreux pays francophones surtout d’Afrique mais aussi l’Île Maurice ou Madagascar. Mais le bassa et le douala, langues du groupe bantou parlées au Cameroun, avec basko et basiko font exception car, bien que du domaine colonial français, ces langues ont adopté un nom anglais par l’intermédiaire du pidgin en raison de leur situation proche du littoral. A noter que le breton a emprunté bicyclette en l’employant au genre masculin.
Au total, bicyclette est le mot le plus employé ou compris au monde avec près d’un milliard de personnes.
Notons pour terminer l’emprunt de bécane en diola (Sénégal et Gambie), aux Comores et au Tchad : bakane en arabe tchadien et b(i)kan en sara.
Au total, les noms d’origine française vélocipède et son apocope vélo (440 millions), bicycle (780) et bicyclette (930) ainsi que cycle (720) sont compris par près de trois milliards d’hommes, soit la moitié de l’humanité.
2 – Analyse par groupe de langues
Ces termes d’origine française ont été adoptés par des langues appartenant à des groupes très divers. Ils ont été diffusés soit par l’intermédiaire des langues des anciennes puissances coloniales européennes, telle que l’Angleterre pour le monde indien ou le Portugal et l’Espagne pour l’Amérique latine, soit par emprunt avec l’arrivée du véhicule.
Dans les principaux groupes de langues, les langues indo-européennes sont parlées par plus de deux milliards d’hommes du Bengale à l’Irlande avant d’être répandues à travers le globe. Ce sont elles qui utilisent le plus des mots d’origine française pour nommer la bicyclette. Font exception le persan, l’allemand, le polonais, le grec, l’arménien, l’ossète, etc.
Les autres groupes de langues sont restés majoritairement à l’écart d’un emprunt d’un terme d’origine française, en particulier :
– les langues malayo-indonésiennes sauf celles des Philippines et à Madagascar
– les langues africaines sauf le peul, le bassa, le comorien, le diola, le douala, le lingala, etc.
– les langues agglutinantes, c’est-à-dire comportant un suffixe sans flexion (coréen, japonais, turco-mongol), sauf le turc qui a emprunté bicyclette et les langues proches du turc de l’ex-Union soviétique : azéri, kazakh et ouzbek qui emploient vélocipède.
– les langues tonales dont le groupe est resté imperméable. Parlé par 1,5 milliard d’habitants, cet ensemble comprend le chinois, le birman, le tibétain et le vietnamien. Cette dernière langue est intéressante : elle semble être la seule au monde à employer le mot de la partie spécifique du vélo, c’est-à-dire la pédale, pour nommer le véhicule, xe dap (véhicule + pédale).
Annexe – Bicyclette traduit dans quelques langues
Albanais : biçikletë
Allemand : das Fahrrad, das Rad ; bas-allemand : die Fietse; à Münster (Westphalie) : Leeze;
en Alsace, Suisse et Luxembourg : das Velo
Amharique :bisikelét
Angevin : véloce, berniclette.
Anglais : bicycle, bike,
Arabe. Moderne : darrâja(t) (< DRJ : traîner, conduire une bête ), parlé égyptien : ‘ajala(t) (célérité),
parler marocain (Rif, Meknès): ‘aud-er-rih (cheval du vent) ; arabe tchadien : bakane
biskelita, parfois avec prononciations locales tel que Marrakech : bichkletta ; tunisien : besklit;
Arménien : hedzaniv
Aymara : (Pérou, Bolivie) : wisiklita
Azeri : velosiped
Bambara : nagaso (cheval de fer)
Baoulé (Côte d’Ivoire) : kpangэ
Bassa * (Cameroun) : básko
Basque : bizikleta, txirrindula, pirripita, txiringa
Bemba (Zambie) : (i) ncinga
Bengali : shaikel
Bété (Côte d’Ivoire) : kpwa, basiko
Biélorusse : velasiped, rovar
Birman : sai?ké
Bobo-fing (Burkina-Faso) : bàlo siэ
Boulou (Cameroun) : nsini
Breton : bissiklet (masc.), marc’h-houarn (cheval de fer), marc’h treut (ch.maigre)
Bulgare : kolelo, velosiped
Canada (français) : bicycle
Chamorro (Îles Mariannes) : bisikleta
Chinois mandarin : zi xing che (individuel déplacement véhicule) Cantonais : tan chen (seul – véhicule)
Comorien (Shikomori): bekani, bisikleti
Coréen : cacénk dja – tchon – ngŏ
Créole guadeloupéen : bisiklèt
Danois : cykel
Diola (Sénégal, Gambie) : e bekan
Douala * (Cameroun) : basiko
Espagnol (castillan, catalan) : bicicleta
Esperanto : biciklo
Estonien : jalgratas (jalg : pied)
Finnois : polkupyörä
Gaelique (Irlande, Écosse, Man) : da’chasach, rothar
Gallo : véloce
Gallois (Pays de Galles) : beic
Gaulois (reconstitué) : voroti (2 roues)
Géorgien : velosipedi
Grec moderne : to podilato
Guarani (Paraguay) : visikleta
Gujrati : cycle
Haoussa (Niger, Nigéria) : keke
Hébreu moderne : oufanaïm (deux roues, duel de oufan, roue)
Hindi : saikal, paurgari
Hongrois : bicikli, kerékpar ( kerek, roue + par, paire), bicaj
Ibo (Nigeria) : anyinya igwe
Indonésien : sepéda
Iranien : tcharekh (roue, ce qui roule), dv tcharekh (deux roues pour enfants)
Irlandais : rothar ( < roth : roue)
Islandais : hjól (nom courant signifiant roue ), reidhjól
Italien : bicicletta, bici, ciclo, biga, cancello
Japonais : ji ten sha = (soi-même circuler roue)
Javanais : pit, gandung, sepeda
Kabyle : thavisiklit, abilou
Karen (Birmanie) : baisikel
Kazakh : velosiped
Khmer : rotes kâng
Kiluba (bantou du Congo) : nkinga
Kinyarwanda – Kirundi (Twanda et Burundi) igare (Swahili)
Kurde : bîsîklêt, duçerxe (iranien)
Laotien : lot thip
Lapon : sihkkelat
Latin (moderne) : birota, velocipedum
Letton : (div) ritenis, velocipéds
Lilikô (bantou du Congo) : magu-mâkwanganya (quatre-pieds)
Lingala (bantoue, vallée du Congo) : nkinga, « vélo »
Lituanien : dviratis
Luganda (Ouganda) : eggaali
Luo (Kenya) : ndiga
Malayalam (Kérala) : cycle
Malgache (source : Toky Randrianasolo) : – bisikilety, tongomalady (< tongo(tra) + malady = pieds + rapide); vélocipède : kalesy ahodin-tongotra (< kalesy + ahodin(a) + tongotra = chariot + qu’on fait tourner + pieds).
Malais : basikal
Maltais : rota, bajsikil
Marathi (Maharashtra ) : saïkel
Masaï : em-basakil
Mongol : duguy
Moré (Burkina-Fasso) : ké-ké, kut uèefo (cheval de fer)
Normand (Rouen) : câillon (mauvais cheval)
Néerland., flamand, afrikaans:fiets, rijwiel, velo
Népali : saïkal
Norvégien : sykkel, sykle, velosiped
Ossète : khöd-tulgö
Ourdou : baisikel
Ouzbek, karakalpak : velosiped
Panjabi : cycle
Persan : dotchkhe
Peul (du Sénégal au Soudan) : welo
Picard, cht’i : biclo
Portugais : bicicleta
Polonais : rower (masc.), bika,
Poshtou : bayk
Quecha : bisiklita
Romanche : velo
Roumain : bicicleta
Russe : velocipede
Sängö (Centrafrique) : (roues en caoutchouc)
Sara (Tchad) : b(i)kan
Serbo-croate : bicikl, totač, velociped,
Setswana (Botswana) : pere tshitswana
Shona (Zimbabwe) : bhasikoro
Singhalais (Ceylan) : sayikalaya
Slovaque : rover, bicykel, dvojkolo
Slovène : kolo
Somali : giringir-ta, baasgeel-sha
Songhaï (Niger, mali) : guru bari
Soninké (Mali, Sénégal, Niger) : meexensi ( fer + cheval)
Soussou (Guinée) : kure [kuré]
Suédois : cykel, velociped
Souahili : baisikeli,
Tatare : velociped
Tadjik : velosiped
Tagalog, pilipino: bisikleta
Tahitien : uaua pere’o’o
Taki-taki (Surinam) : baishigi
Tamasheq (Touareg) : belo
Tamoul : saikel, iruruli
Tchadien : bakan (signifie aussi maison !)
Tchèque : bicikl, kolo
Tchétchène-ingouche : velsped
Thaï : rot jàkkayaan
Turc : bisiklet
Ukrainien : velosiped
Vietnamien :
– xe dap (= véhicule + pédale) au nord
– xe may (au sud) ? [xe = véhicule, proche du chinois et du japonais]
Yiddish : rover, bitsikl
Yorouba (Nigeria) : kèké
Zarma (Niger) : guuru bari (cheval de métal / fer )
Zoulou : i bhayisekili