Sociable

Parmi la kyrielle de nouveaux modèles qui envahissent le marché au milieu des années 1880, d’abord en Angleterre puis en France, comme en témoigne la presse, un terme attire l’attention par son importance, le sociable. Et, si beaucoup des noms donnés aux différents vélocipèdes au XIX e siècle sont toujours employés aujourd’hui, le sociable fait exception.

La Revue Vélocipédique, 8 janvier 1885

Le sociable était initialement un tricycle équipé de deux sièges placés côte à côte. Puis, le terme sera appliqué à une bicyclette à deux selles dans les années 1890.

De nombreux marchands français se mettent à en vendre à partir de 1882, d’après des publicités publiées dans la presse comme Le Sport vélocipédique et La Revue vélocipédique : Truffault- de Civry puis en 1884 par Clément (Paris) et Bertrand (Calais), Rousset et Ingold (Paris) pour Rudge, Hillman-herbert and Cooper.

La première attestation trouvée du terme sociable est dans un article publié dans Le Sport vélocipédique n° 93 du 11 novembre 1882 et intitulé La Normandie en Sociable (pp. 355-356). Il s’agit de la traduction d’un article du Tricyclist. Le récit raconte le parcours de 560 km en une douzaine de jours de deux Anglais quinquagénaires. Les sociablistes avaient traversé la Manche de Newhaven à Dieppe. Le sociable est un tricycle car il n’a pas été exempté d’une taxe sur les bicycles en arrivant en France. Dans La Revue vélocipédique datée du 1er mai 1883, le nom est cité dans une réclame pour Contant Frères de Troyes (cf. image ci-dessous).

Son succès fut éphémère : avec le succès de la bicyclette, les ventes de bicycles et tricycles régressent, y compris le tricycle sociable et tandem (1884), avec ses deux sièges placés l’un derrière l’autre, lancé à la même époque. Et, comme bicyclette à deux places, le sociable sera remplacé par la bicyclette tandem qui laisse moins de prise au vent et est plus sûr. Comme les premiers sociable vendus en France sont de marque anglaise, il est probable que le terme soit lui aussi d’origine anglaise et issu d’une ellipse de sociable velocipede.

Premier de Hillman, La Revue Vélocipédique, 15 septembre 1883

Comme nom, sociable est peu cité dans les dictionnaires français. Pour le Dictionnaire historique de la langue française, c’estun vélocipède à deux places situées côte à côte. Il est cité aussi par Le Grand Robert avec ce sens. Le Larousse en 6 volumes (1933) donne un second sens : « Autrefois voiture de luxe à quatre roues avec deux sièges se faisant vis-à-vis». Comme la majorité des noms de cycle qui viennent de la charronnerie, le nom de sociable vient de celui d’une voiture hippomobile. La seconde définition donnée par le Larousse est confirmée par le Guide du Carrossier n°99 de 1873, cité par Jean-Louis Libourel dans Voitures hippomobiles (Éd. Monum, 2005).

Et, comme pour tandem, le nom français de cette voiture vient de l’anglais où un sociable est une abréviation de sociable coach ou de barouche-sociable, une voiture à quatre roues ayant deux doubles sièges se faisant face. Le nom serait apparu en Angleterre dès le XVIII e siècle. Un ouvrage publié récemment y est intitulé Sociable (Carriage).

Digression sur le barouche

Comme pour tandem et sociable, le nom français barouche (1820) donné à une voiture avec capote et à quatre roues vient de l’anglais (1813). S’il n’a pas été encore emprunté pour le vocabulaire de la vélocipédie, barouche est cité ici en raison de son étymologie intéressante : selon le TLF, ce terme vient, via l’allemand dialectal barutsche, birutsche, de l’italien baroccio, biroccio, voiture de transport à deux roues, adaptation du latin médiéval birotium, issu du bas latin birota (deux-roues, brouette), avec le suffixe nominal neutre -ium et la transformation de i- initial en a- devant une liquide : donc, un autre terme surprenant dans la famille (étymologique) des deux-roues !

Le mot sociable est surtout connu comme adjectif, ce qu’il fut initialement : il est attesté en 1342, avec le sens d’uni, lié.  Il vient du latin sociabilis, dérivé de sociare, associer, mettre en commun, de socius, compagnon. Le sociable est finalement, par son sens bienveillant, le contraire du sulky (1861), en anglais boudeur, grognon. Ce nom est attesté depuis 1756 comme terme désignant une voiture à une seule place. Entre le sociable et le sulky, pourrait prendre place la désobligeante (1822), voiture étroite à deux places et assez incommode ! Et ce nom de sociable a été repris comme un nom d’automobile au début du XXe siècle. 

Side-car

Le nom de side-car est connu aujourd’hui pour une moto avec une sorte de caisson muni d’une roue et d’un siège et que l’on fixe sur le côté (1903). C’était d’abord celui d’un cabriolet irlandais (1888), mais aussi celui d’une bicyclette munie de ce caisson. Un brevet français a été déposé par Jean BERTOUX en 1892 pour ce tricycle. Mais, selon Claude REYNAUD, il fut précédé par un autre brevet anglais déposé en 1885 par J. A. KIRK pour un sociable conçu à partir d’un grand bicycle, et même un autre aux États-unis en 1883 par J.H. RAY pour un tricycle.

Le sociable ne serait-il pas en fait l’ancêtre du side-car ?

Bibliographie

Aux Orignes du Side-car, par Claude Reynaud, Dossier de La Vélocithèque N°20.

et pour la « bicyclette sociable », deux articles illustrés publiés dans La Nature, revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie, Paris :

Bicyclette sociable de la Punnett Cycle Manufacturing C°, 1896, N°1182,p.181 : ici

Un sociable-bicyclette, par L. Baudry de Saunier, 12 juillet 1896, N° 1207, p.127 : ici

 

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